Le parcours mouvementé des portraits de bienfaiteurs des hospices

Publié le 22/07/2020 à 13h41 (mis à jour le 21/07/2021 à 17h21)

Une fondation créée le 21 mars 1557 assurait à ces généreux donateurs des messes pour le repos de leur âme [1] et le droit d’avoir leur portrait exposé.
Ces portraits de bienfaiteurs vont, pendant quatre siècles, orner les grandes salles des malades, les salles d’honneur et les couloirs des hospices, mais aussi des Maisons de Charité de Toulouse [2] Réalisés en général après le décès du donateur, ces tableaux, même s’ils n’ont pas de valeur artistique reconnue, ont été pendant des siècles des témoignages des costumes et des figures passées.
A ce jour, les collections du CHU n’abritent aucun portrait antérieur au XVIIIème siècle, à l’exception de celui d’Arnaud Baric...

Entre vandalisme et sauvegarde

Une des premières tourmentes qui décima la collection débuta au cours de la période révolutionnaire.
Le club local des Jacobins, par idéologie patriotique, a décidé - lorsqu’il ne s’agissait pas de détruire - de modifier les couches picturales des portraits afin de déguiser les bienfaiteurs en Sans-Culottes en les habillant avec le costume révolutionnaire. Certains portraits ont été conservés sur place, d’autres ont été retirés. Le 5 Thermidor an III (1795), la visite d’un représentant du peuple a fait revenir dans la salle des Assemblées les portraits des bienfaiteurs « à condition que fussent effacées toutes marques de féodalité ou signes de noblesse ». Ce vaste programme fut-il exécuté ? On peut supposer qu’au cours de cette opération, de nombreux portraits, en particulier ceux des ecclésiastiques, furent exclus et entreposés dans des débarras ou tout simplement jetés…

Au début du XIXème siècle, alors que la France s’était enfin dotée d’une mission de sauvegarde avec la création du poste d’Inspecteur général des monuments historiques (1830), la protection du patrimoine historique des hospices était encore inexistante [3].

Toutefois en 1852 une campagne de restauration des toiles, permettait de constater l’ampleur du « massacre » révolutionnaire : il n’existait plus que de 92 portraits donnés entre 1760 et 1841 [4]..

1869. Dans un des premiers guides touristiques toulousains…

Ces tableaux étaient encore nombreux au XIXème siècle lorsqu’un premier inventaire fut fait. Dans les suivants, le nombre de ces tableaux n’a cessé de diminuer.

En 1869, Hyacinthe Carrère, pour la rédaction de son guide des étrangers dans Toulouse, visita les hôpitaux et maisons de charité de la ville et dressa un inventaire des portraits de bienfaiteurs qu’il y a trouvé.
Il a identifié 298 tableaux avec dédicace représentant 253 personnages : plusieurs personnes ayant leur image dans deux ou même trois établissements, comme par exemple Bernard Labat de Mourlens (dont les deux portraits existants ont été retrouvés en 2006 et 2015) bienfaiteur à la fois de l’Hôtel-Dieu et de la Maison de Charité de Saint-Etienne.
En ce qui concerne les portraits de bienfaiteurs illisibles (abîmés) ou même en bon état mais sans dédicace, Carrère parle d’un « très grand nombre" (sic) d’œuvres…Les historiens pensent qu’il n’a certainement pas utilisé ce terme pour quelques dizaines de tableaux seulement. On peut alors estimer qu’en 1869 il devait y avoir plus de 500 portraits au total.

Les 298 tableaux identifiés étaient détenus par 10 établissements ; parmi eux l’Hôtel-Dieu en abritait 138, la Grave 74, l’hospice des Orphelines 11 et 73 étaient répartis dans les sept maisons de charité des différentes paroisses de la ville (voir article de l’Auta).

Entre guerres et restructurations : un XXème siècle destructeur

Au début du XXème siècle, l’étendue de la collection devait être sensiblement identique à celle qu’elle était cinquante ans plus tôt.
En 1905, le docteur Barbot signalait que deux rangées de portraits décoraient sur toute leur hauteur les murs de la salle des Pèlerins à l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques. Parmi les personnalités représentées figuraient les portraits des trois sœurs Du Barry, du chanoine Jean de Rudelle fondateur du service des incurables, de J.-P. d’Assézat en costume d’apparat. Barbot écrivait : « L’Hôtel–Dieu est plus qu’un asile pour les malheureux, c’est presque un demi-musée. La galerie des nombreux portraits de ses bienfaiteurs (…) constitue un hommage à la mémoire de généreux philanthropes, depuis les plus humbles jusqu’aux privilégiés du sort et de la fortune (…) parmi les toiles dont les auteurs resteront à jamais inconnus, certaines sont d’une exécution ou d’une originalité remarquables et méritent d’être groupées à part ; (…) l’ensemble offre un intérêt historique … résumant l’histoire du costume toulousain pendant plus d’un siècle, surtout le dix-huitième » [5].

Tout au long du XXème siècle, le nombre de ces portraits a considérablement diminué. Il y a eu la guerre, le déménagement de Purpan (1946) la « modernisation » de l’Hôtel-Dieu (1960). Ces bouleversements allaient entraîner la dispersion de la collection. En 1946, certains portraits étaient conservés, bien souvent sans précautions, dans les sous-sols de l’Hôpital Purpan ou les combes de l’Hôtel-Dieu. Trois d’entre eux ont été retrouvés au Musée des Augustins.

Au début des années 2000, ces œuvres ont été réduites à une vingtaine exposées dans les grandes salles patrimoniales de l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques et au Musée d’Histoire de la Médecine..
Dès 2004, le CHU de Toulouse a entrepris de faire restaurer ces tableaux : pour eux-mêmes mais aussi pour entretenir le caractère majestueux des Salles Patrimoniales, dont les murs étaient autrefois couverts de ces œuvres...

Deux donations majeures

En 2006 et 2015 deux évènements heureux pour le patrimoine hospitalier survinrent et éclaircirent ce sombre tableau de la disparition progressive des œuvres : deux donations importantes respectivement de cinq et soixante-trois tableaux ont été faites au CHU de Toulouse, des oeuvres jamais vues du public qui attendent aujourd’hui patiemment d’être restaurées...

[1Ces messes étaient même quotidiennes lorsqu’il s’agissait d’une générosité royale

[2Leur emplacement dépendait peut-être plus de la notoriété de la personne représentée que de l’importance du legs…

[3mis à part la conservation de précieuses archives dont la plupart concernaient des affaires immobilières et financières

[4Au début du XIXème siècle, les portraits étaient "autorisés" à partir d’une certaine somme (3 000 francs) et souvent réalisés pour un prix forfaitaire de 100 francs

[5Il ajoutait son regret de voir que les costumes les plus typiques aient été relégués à l’Hospice de La Grave, où, « dans les couloirs déserts, ils sont exposés à des avaries continuelles »